Photo Cécile Leroy

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160x150 2017

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Fusain dyptique

Fusain dyptique

ARMELLE LE DANTEC : S'APERCEVOIR.... (Yannick Lefeuvre)

Broussailles, pelages, fourrures des territoires de l'en-dedans, demeures fluides des « Yokaïs » ou cocons duveteux en écho visuel des émotions originelles de l'artiste... Ces toiles énigmatiques, très personnelles ouvrent notre regard à l'invisible. Les sensations ineffables puisées à l'écoute d'elle prennent forme au gré de ses étonnements.
Ces lieux de métamorphoses, presqu'immobiles si ce n'est des perceptions vaporeuses, des glissements internes et des gestations immatérielles, elle nous les donne en vertige et en partage. Elle enrobe l'espace ainsi ressenti et dessine au creux de ces ventres des vibrisses animales.
Elle tapisse ces nids auréolés d'un tégument protecteur.

Elle trace des tissus organiques où se muent d'étranges phanères, où se croisent dans les tapisseries d'épidermes renversés des fibroblastes et des histiocytes, où règne sans partage la grande Mésenchymateuse des origines.
Que de mots complexes non pas pour jouer au savant mais pour un appel à un lexique réinventé, à une fantasmagorie nouvelle et à un bréviaire emporté par la folie. Pour appuyer les impressions rares qu'elle livre sans concession de sens à nos yeux étonnés, je me risque à de nouvelles appellations.

En effet, l'interrogation qui ne manque pas de surgir nous mène à tenter un pont vers ces œuvres difficiles.
Ce vocabulaire du réel manque, elle nous y invite. Il nous apprendra combien ce monde si proche reste une belle énigme. Insoluble certes mais autorisant des chemins inattendus menant vers des ressentis joyeux, jouissifs et rafraîchissants.
Seul l'artiste redonne vigueur aux hypothèses. L'en-dedans trouve sa demeure visuelle. S'éloignant de la couleur trop connotée,  elle donne sa chance aux noirs et blancs qui créent malgré leur apparente simplicité des espaces inconnus où les complexités s'intensifient.

Changer la vie, ce sera pour elle d'abord écouter les tréfonds de son être, ses sensations les plus intimes, ses respirations intérieures où se réinventent à chaque seconde l'appel à l'autre, à la vie et à la transformation continue.
Dans ces lieux globulaires, tout paraît silencieux. Pourtant les déplacements que l'on devine bourdonnent, langueurs sourdes presque opaques. Ils indiquent les profondes mutations de la vie. Pour entendre, le temps exige son dû.

La pulsation s'impose sans pathos dans ses enclaves primitives. Les dieux terribles attendraient-ils là dans une léthargie trompeuse l'instant de l'éveil ?
Ils nous révèleront alors, dans un geste de délivrance, la force vivifiante qui s'est nourrie de ces substrats cachés, profonds et invisibles !
Il y aurait là, une nouvelle nourriture sensationnelle qui attendrait silencieuse l'instant de sa découverte ?

Privés que nous sommes, de sens, de sensualité et d'amour, elle deviendrait notre viatique !?
Le laisser aller de notre ressenti le plus charnel sera le passeport nécessaire au passage de la frontière. Si elle ouvre une porte, ce sera à nous d'en franchir les seuils. Elle nous invite à cet effort.
Une fois, rendu au pays de l'étrangeté, elle ne cessera pas de nous chuchoter combien ce monde est le nôtre.

Par le truchement de ses toiles, nous allons enfin nous apercevoir !
 

Petit glossaire prétentieux pour s'amuser...

Yokaïs ( Entités de la culture manga japonaise. )
Vibrisses (Organes sensoriels poils ou plumes)
Téguments (Tissus formant l'enveloppe)
Phanères(Productions épidermiques protectrices)
Fibroblaste (Cellule du tissu conjonctif)
Mésenchymateuse( cellule souche de l'embryon)






Armelle Le Dantec dessine. Les formes qu’elle nous propose résultent de la juxtaposition d’une infinité de petits traits, drus comme une pluie fine, mais comme dirigés par des champs magnétiques invisibles et contradictoires qui orientent le sens de sa chute, générant des formes ondulantes, des vagues superposées ou des drapés improbables dont les limites sont floues, indécises, bien qu’indiscutables. Le trait, réduit à son strict minimum se mue donc en surface, puis en volume, le tout avec une économie de moyens qui surprend et fascine. D’un certain point de vue, mutatis mutandi, un parallèle pourrait être établi entre les réalisations d’Armelle Le Dantec et les œuvres des divisionnistes du tournant des XIXe et XXe siècles, si ce n’est que, ici, comme dans les splendides dessins à la mine de plomb de Seurat, tout est en noir et blanc…
     À la frange entre la forme et le blanc de la feuille s’établit une frontière clairement affirmée, mais cependant indécise et poreuse dans sa réalisation, pour peu que le regard s’y concentre. On pense irrésistiblement à la notion mathématique de fractale appliquée à la cartographie.
     Autre paradoxe, et non des moindres, on devine, chez Armelle Le Dantec, un travail long et patient, méticuleux et laborieux, et, pourtant, il en émane une gestualité qui semble figer en un clin d’œil une forme que l’on imagine en mouvement. Mouvement lent, certes, mais évident, même si le spectateur éprouve quelques difficultés à en saisir le sens et la vitesse. Le long travail de l’artiste fixe un instant d’éternité, aussitôt libéré dès qu’elle déclare son dessin terminé.
     Quant aux formes figurées, le spectateur a l’intuition qu’il s’agit de fragments organiques, humains probablement, sans qu’ils soient identifiables… Aucun indice ne permet d’en déterminer l’échelle… Ni, d’ailleurs, de savoir s’il s’agit d’organes internes ou externes, de peau ou de viscères. Et cela, aussi, dérange… Dérangement salutaire…

                                                                                                                   Louis Doucet                                                                                                                    MacParis printemps 2017